Parlez-vous Kyôgen ?
En février se sont tenus à l’espace Tenri deux représentations et des ateliers de théâtre Kyôgen, un art théâtral japonais ancestral. Asiascope a rencontré à cette occasion M Ogasawara, qui s’en fait depuis des années l’ambassadeur en France. Il nous parle avec passion du théâtre, de son parcours et de ses projets.
ASIASCOPE : Pouvez-vous nous présenter le théâtre Kyôgen ?
M Ogasawara : Le théâtre Kyôgen est un art qui a été créé il y a plus de 650 ans au Japon. De ce fait, c’est le genre théâtral le plus ancien au monde. C’est aussi celui qui a la longévité la plus notable, puisqu’il continue à se pratiquer actuellement.
Cela s’explique par la situation géographique du Japon. Notre insularité nous permet de conserver intacts des pans entiers de notre culture.
Le Kyôgen est le pendant comique du Nô. C’est une forme théâtrale populaire, alors que le Nô dépeint la noblesse. Le Kyôgen est un théâtre de conversation, comique alors que le Nô, plutôt tragique, laisse plus de place à la musique. L’un parle de la vie, l’autre évoque la mort. Ce sont deux thèmes impossibles à séparer. La complémentarité de ces deux genres explique peut-être également leur longévité.
ASIASCOPE: Le Kyôgen est un art qui se transmet de générations en générations, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette tradition ?
M Ogasawara : Effectivement, le théâtre Kyôgen est un art familial. Les familles qui le pratiquent actuellement le font depuis 650 ans. Je suis cependant un cas à part. Je ne suis pas issu d’une famille de théâtre mais c’est en étudiant la littérature que je m’y suis intéressé.
ASIASCOPE: Qu’est-ce que qui vous a donc amené au Kyôgen ?
M Ogasawara : Lorsque j’étais au lycée, mon professeur principal était le disciple d’un maître de Kyôgen. Lorsque je suis allé à l’université, j’ai commencé à étudier la littérature classique japonaise. Je me suis intéressé au théâtre pour voir jouer les œuvres que j’étudiais et j’ai donc eu l’opportunité de voir le maître de mon professeur se produire sur scène. Ce dernier m’avait donné des tickets gratuits pour y assister et je lui ai donc fait part de mon intérêt pour le théâtre, en lui disant que je voulais apprendre à jouer. J’ai demandé à être présenté à son maître, Nomura Man, mais à l’époque il avait déjà plus de 60 ans et n‘acceptait plus de nouveaux disciples. Et en tant que doyen, il ne s’occupait pas en principe des amateurs. Il m’a donc proposé de prendre des cours avec son fils aîné Kosuke, qui était âgé de 24 ans. C’était quelqu’un de très actif, qui faisait des voyages à l’étranger pour collaborer dans d’autres pays, ce qui m’a aussi énormément influencé.
Une campagne de recrutement s’est tenue à l’époque pour trouver de nouveaux comédiens car le vivier familial ne suffisait plus à fournir des acteurs. Il s’est avéré que Nomura Man en était le principal responsable. J’en ai profité pour tenter ma chance.
J’avais 18 ans lorsque j’ai commencé mon apprentissage ce qui est très tardif comparé aux acteurs issus de familles de Kyôgen. Ce fut donc pour moi une occasion inespérée de commencer à apprendre les ficelles du métier. Puis je suis devenu professionnel à l’âge de 30 ans et je me suis marié la même année.
ASIASCOPE: D’où est né votre intérêt pour la France ?
M Ogasawara : Je faisais des tournées avec Kosuke, le fils de Nomura Man . Nous sommes allés en Italie, en Allemagne, puis en France. A ce moment-là, le Théâtre du Soleil s’y produisait. Mon maître Kosuke y était invité en tant qu’enseignant. Cette collaboration a duré un mois. Ce séjour se passait pendant la première guerre du golfe. La participation de la France au conflit rencontrait une ferme opposition et il y avait beaucoup de manifestations. Il y avait des protestations également à l’Opéra Bastille, et je me souviens avoir été très surpris à l’époque de la collusion entre art et politique. Ce sont des choses qu’on ne voit pas au Japon. J’étais donc un peu choqué, mais en même temps admiratif. J’ai aussi découvert à cette époque toute une scène de théâtre français : le théâtre Zingaro par exemple, Ariane Mnouchkine et le théâtre du Soleil…. Ce fut une période riche d’enseignement pour moi. A mon retour au Japon, l’envie de revenir en France ne m’a plus quitté, mais il a fallu attendre le bon moment. Plus tard, ma femme et mon fils s’y sont installés et je les ai rejoints de plus en plus régulièrement pour faire connaître le théâtre Kyôgen aux Français. J’ai commencé à me produire sur scène avec mon fils. Je me sens investi d’une mission, celle de populariser ce genre traditionnel en Europe, en suivant en cela les pas de mon maître Kosuke qui m’a ouvert la voie.
ASIASCOPE: Quelles qualités faut-il posséder pour être un bon acteur de Kyôgen ?
M Ogasawara : Il ne s’agit pas uniquement de maîtriser les techniques, il faut être profondément humain.Cependant, je pense que trois éléments sont nécessaires : Il faut bien évidemment aimer le Kyogen, qu’une belle alchimie s’opère entre maître et élève et bénéficier de belles rencontres, et enfin, posséder une voix, une présence qui saura se révéler sur scène.
ASIASCOPE: Avez-vous des projets particuliers prévus dans le cadre de Japonisme 2018 qui débutera en France en Juillet 2018?
M Ogasawara : Effectivement, il y aura des représentations de Kyôgen et de Nô en Février 2019. Mon maître Nomura Man, qui est Trésor National Vivant, en sera le chef de file, tout comme Umewaka Gensho, grand maître de Nô. Des scènes traditionnelles seront spécialement construites pour l’occasion. Nomura Man jouera une pièce exceptionnelle du répertoire.
J’espère que le public français viendra nombreux à ces représentations !
ASIASCOPE: Merci beaucoup !
Asiascope ne manquera pas de vous tenir informé de ces prochaines représentations, et des autres manifestions qui seront organisées dans le cadre de Japonismes 2018 , qui s’annonce comme L’évènement culturel Franco-Japonais majeur des prochains mois !
Merci à M et Mme Ogasawara pour leur disponibilité, et à Atelier Oga Paris pour la traduction.
Crédit pour la photo d’illustration: Maison de la Culture du Japon.